Ces chiffres qui font froid au dos, sont le résultat d’une enquête sur le tabagisme chez les adultes (Global Adulte Tobacco Survey, GATS). Elle a été menée auprès des hommes et des femmes âgés de 15 ans et plus résidant dans les ménages ordinaires, représentatifs au niveau national. L’enquête GATS révèle aussi que plus de 60 % de jeunes élèves ont vu des messages publicitaires vantant les produits du tabac.
Au Sénégal, un demi-million (6,0%) des adultes utilisent actuellement les produits du tabac avec 11,0% d’hommes et 1,2% de femmes. Il faut noter que l ’enquête sur le tabagisme chez les adultes (Global Adulte Tobacco Survey, GATS) est menée auprès des hommes et des femmes âgés de 15 ans et plus résidant dans les ménages ordinaires, représentatifs au niveau national. Elle a été réalisée par l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), sous la coordination du Ministère de la Santé et de l’Action Sociale.
L’utilité des données dans la lutte antitabac
Notre pays a ratifié en 2005 la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte anti-tabac (CCLAT). Cette lutte est menée en grande majorité par la Ligue sénégalaise contre le tabac (LISTAB) coordonnée aujourd’hui par Djibril Wellé, une figure de la lutte à l’image du docteur Abdoul Aziz Kassé et du docteur Oumar Ba qui dirige le programme national de lutte contre le tabac. Pour ces derniers, compte tenu du respect de la convention, l’enquête va générer des données comparables au sein du pays et ce qui se fait ailleurs. En 2008, par exemple, l’OMS a identifié six mesures de lutte antitabac, basées sur des données probantes, qui sont les plus efficaces pour réduire l’usage du tabac. Connues sous l’acronyme MPOWER, elles correspondent à une ou plusieurs mesures de réduction de la demande contenues dans la CCLAT.
Un demi-million de fumeurs
Le tabac à fumer est la principale forme d’utilisation du tabac avec 5,4% (0,4 million) des adultes étant des fumeurs actuels du tabac. Les hommes étant plus nombreux que les femmes (10,7% contre 0,4%) parmi les fumeurs actuels de tabac. Il n’y a pas de différence significative dans la consommation de tabac à fumer entre le milieu urbain (5,8%) et le milieu rural (5,0%). La consommation de tabac à fumer est la plus élevée chez les 45-64 ans (8,0%) et les 25-44 ans (6,7%). Parmi les adultes, 4,9% sont des fumeurs quotidiens (9,7% des hommes et 0,3% des femmes) et 0,5% sont des fumeurs occasionnels. Le type de tabac à fumer le plus communément consommé par les adultes est la cigarette manufacturée, utilisée par 4,0% des adultes (0,3 million). Dans l’ensemble, les consommateurs fument en moyenne 9,4 cigarettes par jour avec le tiers (31,6%) d’entre eux fumant de 5 à 9 cigarettes par jour. Un peu plus de 7 Sénégalais sur 10 (71,6%) âgés de 20 à 34 ans ayant déjà fumé quotidiennement ont commencé avant l’âge de 20 ans. L’initiation au tabagisme est précoce, avant l’âge de 15 ans, pour le quart d’entre eux. L’initiation à la cigarette à un jeune âge (moins de 15 ans) est plus marquée en milieu rural (36,7%) qu’en milieu urbain (15,9%). Comparativement au tabac à fumer, le tabac sans fumée est utilisé par peu de Sénégalais, soit 0,7%. Les femmes sont légèrement plus nombreuses à consommer le tabac sans fumée (1% pour les femmes et 0,3% pour les hommes).
Les fumeurs face à l’accès difficile au sevrage assisté
Le tabagisme est la deuxième cause de décès des maladies cardiovasculaires après l’hypertension. « En plus de dissuader ceux qui n’ont pas encore commencé, il faut aussi penser à sevrer ceux qui désirent arrêter de fumer » souligne le docteur Omar Ba, coordonnateur du programme national de lutte contre le tabac au Sénégal (PNLT). Au Sénégal, selon les chiffres de l’Agence Nationale des Statistiques et de la Démographie, 8 fumeurs actuels sur 10 ont envisagé d’arrêter ou y ont pensé. Ils sont 59,6 % à avoir essayé d’arrêter au moins une fois au cours des 12 derniers mois. Ils sont 66,2% en milieu rural à avoir essayé d’arrêter de fumer et 54,1% en milieu urbain. La quasi majorité (86%) de ceux qui ont tenté d’abandonner la cigarette parmi les fumeurs actuels et anciens fumeurs s’étant abstenus de fumer pendant moins de 12 mois, l’ont fait sans assistance ».
Cependant, plus de la moitié de ceux qui ont consulté un personnel de santé ont été questionnés par ces derniers sur leur consommation de tabac (54,0%) et conseillés d’arrêter (50,9%). Sur le plan national, il n’existe pas de service d’aide au sevrage tabagique dans les dispensaires, les établissements de soin primaire et les hôpitaux. Ce service d’aide tabagique existe dans quelques centres communautaires.
Les non-fumeurs, victimes de la fumée secondaire
La fumée du Tabac ne nuit pas seulement aux fumeurs. Ils sont aussi victimes de toutes les personnes qui inhalent la fumée de leurs « Voisins » fumeurs. Les chiffres du tabagisme passif sont passés au peigne fin par l’enquête de l’ANSD. En effet, « un demi-million (30,4%) de travailleurs ont été exposés à la fumée secondaire sur leur lieu de travail. Parmi eux, un nombre important de non-fumeurs (0,4 million). Le nombre d’adultes exposés à la fumée secondaire au domicile est de 1,642 million (21,6%). Cette exposition à la fumée secondaire au domicile touche 1,364 million (19%) de non-fumeurs autant les hommes que les femmes. Ceci n’est pas sans danger. Le professeur Abdoul Aziz Kassé explique que ces derniers sont plus exposés. « Le fumeur fait passer la fumée dans le filtre de la cigarette, le non-fumeur prend la fumée brute en plus de celle que rejette le fumeur ». Les chiffres varient selon les lieux : « Dans les universités, 28,8% dans les restaurants, 24,2% dans les bâtiments administratifs, 20,7% dans les établissements scolaires, 14,3% dans les transports en commun et 10,2% dans les établissements de soins de santé. Et pourtant au Sénégal, depuis 2014, une législation antitabac interdit de fumer dans des lieux publics tels que les établissements de soins de santé, les établissements d’enseignement, les bâtiments administratifs, les lieux de travail fermés et les transports publics », explique l’enquête.
Entre insouciances et innocences
Tous ceux qui fument, ne savent pas que le tabac est dangereux pour leur santé et celle de leur entourage. Dans l’ensemble, 93,9% des adultes pensent que le tabagisme peut entraîner des maladies graves (92,5% des fumeurs actuels et 93,9% des non-fumeurs). Neuf (09) adultes sur 10 (91,9%) pensent que respirer la fumée des autres peut causer une maladie grave chez les non-fumeurs (87,4% des fumeurs actuels et 92,1% des non-fumeurs). Ces croyances sont partagées aussi bien dans le milieu urbain (94,7%) que dans le milieu rural (89,0%). Pour le tabac sans fumée, 79,0% des adultes croient qu’il peut causer des maladies graves, que ce soit les consommateurs actuels (74,5%) ou les non consommateurs (79,1%), tant pour les adultes vivant en milieu urbain (79,5%) qu’en milieu rural (78,4%). Sept maladies sont citées. En effet, 92,7% des Sénégalais pensent que le tabagisme peut causer le cancer du poumon, 71,3% une crise cardiaque, 75,1% le cancer de l’estomac, 67,7% un accident vasculaire cérébral, 60,0% une naissance prématurée, 65,4% le cancer de la vessie et 60,3% une perte osseuse. Il faut noter qu’au Sénégal, la loi exige des mises en garde sanitaires qui doivent apparaître sur les paquets des produits du tabac. Depuis 2014, la loi exige que les mises en garde sanitaires incluent des photos illustrant les méfaits du tabac allant dans le sens de décourager les fumeurs.
Corser la taxe pour décourager les fumeurs
En plus d’être mauvais pour la santé, le tabac ruine les fumeurs. En effet, la dépense moyenne mensuelle en cigarettes par fumeur est de 6 716 FCFA. Les dépenses moyennes mensuelles en cigarettes augmentent avec l’âge allant de 5140 F CFA chez les 15-24 ans à 8 980 chez le groupe d’âge 45-64 ans. La grande majorité des Sénégalais adultes (95,5%) sont favorables à une hausse de la taxe sur les produits du tabac. Il faut noter que la marque la plus courante de cigarette au Sénégal est taxée à 40,3%. C’est d’ailleurs le combat de la société civile. La société civile sénégalaise porte le plaidoyer pour l’instauration d’une taxe parafiscale sur le tabac pour financer la lutte antitabac et les Maladies Non Transmissibles (MNTS). En effet, dans son rapport de 2022, l’organisation mondiale de la santé a révélé que les maladies non transmissibles causent 45% des décès au Sénégal. Sur le même volet, les Comptes Nationaux de la Santé (2017-2021) démontrent que les dépenses liées à la prise en charge des MNTS sont estimées à 233 milliards F CFA dont les 3/4 sont supportés par les ménages. Au Sénégal, le niveau de taxation des produits du tabac s’élève à 23% du prix selon le rapport de la Banque Mondiale sur la situation économique de 2023, alors que l’OMS fixe cette taxation à 70% du prix des produits ». La marge est encore grande d’où le plaidoyer pour l’adoption d’une taxe parafiscale sur le tabac pour financer les MNTS et la lutte antitabac à côté de la taxe d’accise comme le recommande la Directive CEDEAO de 2017.
Quelle solution pour mieux réussir la lutte ?
Les chiffres sont encore énormes. Mais il faut continuer la lutte et faire respecter les dispositions de la loi antitabac. « Le Sénégal dispose de l’une des meilleures lois antitabac qui prend en compte toutes les préoccupations de la lutte mais les décrets d’application tardent » précise-t-on.
Il faut donc surveiller la consommation de tabac et les politiques de prévention, afin de réduire la prévalence de l’usage du tabac et de l’exposition à la fumée du tabac, poursuivre le processus de surveillance en répétant l’enquête GATS sur une base régulière et représentative au niveau régional. D’ailleurs, l’enquête de l’ANSD recommande d’intégrer des questions standards sur le tabagisme dans les grandes enquêtes nationales auprès des ménages (Enquête Démographique et de Santé (EDS), Enquête STEPS), de développer de manière systématique, avec la participation active de la société civile, un processus de suivi des violations des dispositions législatives contre le tabagisme
en vigueur. Par exemple, la loi anti-tabac 2014 du Sénégal permet à toute organisation de la société civile reconnue depuis un an de dénoncer toute violation de la loi et de se constituer partie civile auprès des tribunaux.